Céline Goberville : en selle pour Tokyo !

Les Jeux, elle connaît. Une médaille aux Jeux aussi. C’était en 2012. Depuis, Céline Goberville, tireuse au pistolet à 10 mètres est devenue l’une des athlètes françaises les plus expérimentées et les plus titrées de la discipline. Également cavalière émérite, cette jeune femme réservée n’extériorise pas beaucoup sa joie.  Mais elle fera peut-être une exception, à Tokyo, au cas où…

Il y a presque dix ans… Même si son palmarès est aujourd’hui impressionnant, Céline Goberville se rappelle parfaitement de cette journée du 29 juillet 2012, à Londres. Elle décroche la médaille d’argent au tir au pistolet à 10 m, dès ses premiers JO ! La première médaille de la délégation française, celle qui, traditionnellement, lance la dynamique.

« Il me reste tellement de souvenirs… J’ai enchaîné les interviews à des médias qui me paraissaient inaccessibles comme par exemple le JT de TF1 ! Du coup, j’avais l’impression que le tir comptait autant que les autres sports. J’ai même rencontré Patrick Bruel au club France ! »

Il reste aussi le souvenir du sourire simple et presque discret de la jeune femme après sa gigantesque performance. Satisfait, mais sans plus. En apparence, en tous cas.

« Je ne suis pas du genre à sauter en l’air… », sourit-elle.

Dans son entourage, la joie, en revanche, était totale. Mais précédée d’une stupéfaction unanime. Personne ne s’attendait à une telle performance, si tôt.

« Nous étions en découverte, pour voir comment se déroulaient des Jeux Olympiques. On espérait au mieux que Céline atteigne la finale… », se souvient Daniel, son père, ancien tireur de haut niveau, qui entraine aujourd’hui sa fille au quotidien.

C’est au stand de tir de Creil que Céline passe une grande partie de son temps et de ses entrainements. L’établissement jouxte une immense base militaire aérienne. Sur le fronton, une grande banderole qui félicite la médaillée de Londres.

Céline Goberville est tireuse au pistolet à 10 mètres et 25 mètres. Elle brille et a gagné dans ces deux disciplines pourtant très différentes et aux techniques propres. Mais elle n’en privilégie pas une pour tenter d’optimiser ses résultats. Au contraire.

©FFTIR/J.Heise

« Cumuler les deux est une richesse. Les capacités requises pour l’une servent à l’autre et inversement » explique la championne.

Sur le « 10 m », il faut tirer soixante plombs au pistolet à air comprimé dans un temps imparti d’une heure quinze. Comme un marathon. Mais un marathon de précision, au mental. L’athlète gère son chrono comme il l’entend. Au niveau international, le tireur doit atteindre, minimum, quarante fois le centre de la cible pour obtenir un 10. Sinon, il n’ira pas loin dans la compétition. Et le diamètre de ce centre de cible est de 11 millimètres. En finale, la notation est encore plus précise. Toucher « la mouche », le centre du centre, de 5 millimètres de diamètre, permet d’obtenir la note maximum de 10.9 !

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La discipline du « 25 m », en revanche, est plus complexe. Elle se divise en deux parties, une de vitesse, une de précision.
« Dans le « 25 m », on ne peut pas reculer. Compte tenu de la pression du chrono qui tourne, vite, il faut « y aller ». Alors qu’au « 10 m », je peux prendre le temps si par exemple j’ai un échec ou un moment de doute. Du coup, le « 25 m » m’apporte une notion du temps et de sa gestion qui m’est utile dans l’autre distance », détaille Céline Goberville.

L’ordre des plombs

Au stand de Creil, la jeune femme de 34 ans installe la petite serviette en coton sur lequel repose le pistolet. La boite de plombs est posée à gauche de la serviette, toujours au même endroit. A côté, le tournevis pour régler, si besoin, le pistolet. Tout est précis, les gestes sont méticuleux. Céline frôle tout de même la superstition.

« Lorsque que je charge mon pistolet, je prends mes plombs toujours dans le même ordre, en commençant par celui qui est en bas à droite de la boite et en remontant, un à un. Si je n’accomplis pas ce rituel, cela me gêne », sourit-elle.

Mais Céline Goberville a surtout du talent. Détecté très vite.

« Le talent, pour un tireur, c’est d’arriver, naturellement, à coordonner et répéter ses gestes. Mais c’est aussi le « lâcher-prise » mental. C’est-à-dire la capacité à gérer les émotions, l’essence même du sport de haut niveau. Et Céline les gère très bien », poursuit son père.

Ancien membre de l’Equipe de France, Daniel Goberville s’est très tôt intéressé à la préparation mentale. A une époque où l’on se doutait que ce sujet était important, mais sans en avoir les clefs.

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Aujourd’hui, il les a. Et même tout le trousseau. En compagnie de la belle-mère de Céline, également tireuse de bon niveau, il prépare la championne mentalement avec notamment des séances d’hypnose. Il fait également travailler sa fille sur les muscles profonds, ceux qui servent à la stabilité. Avec du gainage ou du verrouillage d’articulation.

Chez les Goberville, le tir, c’est une vraie histoire de famille. Papa et belle-maman, donc, mais aussi la grande sœur, Sandrine, qui tire à haut niveau. Le tonton a été champion d’Europe et les cousines sont carabinières. La « Team » Goberville a même un site internet !

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Entre Céline et son père Daniel, la confiance est évidemment totale. Walter Lapeyre, entraineur fédéral, qui côtoie Céline notamment lors des stages Equipe de France, l’accompagne en compétition et la rejoint parfois à Creil. Il a dû trouver sa place. Ce ne fut pas très compliqué, car Walter et Céline ont d’abord été partenaires en équipe de France.

« Je ne fais pas du « Daniel ». J’apporte mon œil et mes observations, différemment. Je suis, par exemple, à l’affût des dernières évolutions de matériel. J’essaie aussi d’emmener Céline vers d’autres limites… », explique Walter Lapeyre.
Comme lorsqu’il a proposé à la médaillée de Londres de le suivre du côté d’Antibes, en septembre dernier, sans lui dire pourquoi jusqu’au dernier moment.

« Pour une descente en rafting… Je sais qu’elle n’aime pas l’eau alors je l’ai un peu bousculée. Elle a fait la soupe à la grimace puis à la fin, elle avait le sourire.

Mais elle est capable de bouder très fort ! », sourit Walter Lapeyre.

Reconversion déjà planifiée

Sur le stand de Creil, Céline répète ses gestes. La posture est toujours la même. Elle ne semble pas bouger d’un centimètre. Et enchaîne invariablement les « 9 » et les « 10 ». Mais malgré sa concentration et son application, elle est un peu lasse. Car son moteur, ce sont les compétitions. Et pendant les premiers mois de 2021, elles ont été annulées les unes après les autres.

« Céline a besoin de tournois, de championnats. A chaque annulation, elle a pris un coup derrière la tête. Durant cette période, elle a eu du mal à rester motivée », déplore Daniel Goberville.

La championne avoue qu’elle a l’impression d’avoir perdu son « identité ».

©FFTIR/O.Louis

« J’aime travailler dans l’urgence. Enchainer les compétitions. Alors un seul objectif pendant des mois et des mois, en l’occurrence les Jeux, c’est l’opposé de ce dont j’ai besoin. Je me savais compétitrice mais cette période de Covid l’a confirmé au-delà de ce que je pensais. »
Florian Fouquet en profite ! Son binôme lors des épreuves mixtes en compétition internationales bénéficie de ce mental et apprécie les échanges avec son aînée de six ans.

« J’ai beaucoup progressé aux côtés de Céline car elle est « inspirante » tant elle est déterminée. Mais parfois imprévisible. Elle est capable, en plein match, de changer totalement sa technique ou sa gestuelle. Elle ose. Il faut avoir du cran ! » dit-il admiratif.

©FFTIR/J.Heise

Caporale-chef au sein de l’Armée des Champions, intégré au Bataillon de Joinville, dispositif militaire destiné à accompagner les sportifs de haut niveau, Céline Goberville trouve le temps de se consacrer à ses deux amours. Le tir et… l’équitation. Qu’elle a commencé dès son plus jeune âge et bien avant la fréquentation des stands de tir ! A 8 ans, elle est montée sur son premier poney. Une passion. Et sa reconversion. Elle est aujourd’hui titulaire d’une formation de monitrice d’équitation, son métier quand elle raccrochera le pistolet.

« Savoir que ma « deuxième vie » est organisée, dans l’idéal après les JO de Paris 2024, m’apporte de la sérénité. Et si je ne vais pas jusque-là à cause d’un coup dur ou d’une grave blessure, je ne me retrouverai pas face à un grand vide. »

©C.Goberville

En attendant encore trois ans, les deux chevaux de Céline sont en box à une petite demi-heure de route de son domicile, juste à côté de Creil.

Le tir, les entrainements, la famille, ses chevaux. L’agenda est rempli. Céline ne sort pas, fait rarement la fête. Pas vraiment le temps. Pas vraiment le style. De son propre aveu, elle est « limite un peu sauvage ». D’ailleurs, quand elle ouvrira son centre équestre, ce sera loin de la ville. Dans le sud-ouest, de préférence, et surtout en pleine campagne.

Il y a presque dix ans, la tireuse d’argent était emportée dans le tourbillon de la découverte et de la folie médiatique qui l’avaient un peu secouée. Mais Walter Lapeyre est formel. Céline Goberville est encore meilleure aujourd’hui.

« Je suis bordelais et amateur de vin. Comme lui, Céline se bonifie avec l’âge… », sourit-il.

Pour Sandrine, sa sœur ainée, elle-même membre de l’équipe de France de tir au pistolet 10 et 25 m, Céline tire énormément de toutes ses expériences.

« Plus que se bonifier, je trouve qu’elle s’enrichit avec les années. Car elle se souvient précisément des sensations qu’elle a eu lors de chaque compétition, elle accumule ce vécu et s’en sert. Alors qu’elle oublie fréquemment, quelques jours plus tard, le nombre de points qu’elle a obtenu. Mais les impressions des matchs, jamais. »

Il est donc temps, enfin, que la compétition arrive ! A Tokyo, Céline n’a rien contre l’idée de renouveler le double exploit de Londres : décrocher l’argent et emmener derrière elle tous les sportifs français !

Écrit par Fabrice DAVID


Palmarès

2010 :

Médaille d’or – Coupe du monde – Pistolet 10m – (Serbie)

2011 :

Médaille d’or – Championnat d’Europe – Pistolet 10m – (Italie)

2012 :

Médaille d’argent – Jeux Olympiques – Pistolet 10m (Londres)
Médaille d’argent – Coupe du monde – Pistolet 25m (Angleterre)
Médaille d’argent – Coupe du monde – Pistolet 25m (Allemagne)

2013 :

Médaille d’or – Championnat d’Europe – Pistolet 10m (Danemark)

2014 :

Médaille d’or – Coupe du monde – Pistolet 10m (Chine)

2017 :

Médaille d’or – Finale des coupes du monde – Pistolet 10m (Inde)

2018 :

Médaille d’or – Championnat d’Europe – Pistolet 10m (Hongrie)

2019 :

Médaille d’argent – Championnat d’Europe – Pistolet 25m par équipe (Italie)

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