Océanne Muller, prodige de la carabine

Une jeune fille de 18 ans vient de monter sur le toit de l’Europe. A quelques semaines des Jeux Olympiques, rien ne semble inaccessible à l’enfant surdouée du tir à la carabine, Océanne Muller. L’Alsacienne vient à peine d’obtenir son baccalauréat. Elle mène tout de front avec le calme et la lucidité qui caractérisent… les futurs grands champions.

Océanne pèse ses mots. Prend le temps de s’exprimer. Elle applique parfaitement les cours de média-training dispensés au sein de la Fédération Française de Tir. Car la presse s’est précipitée sur le phénomène juste après son titre de championne d’Europe, fin mai. Ce qui peut perturber une jeune fille de son âge.

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« C’était impressionnant et j’ai été assez surprise. Mais je n’ai pas eu peur car mon entraineur, Martial Anstett, m’y avait préparé. Il m’a expliqué que cette médiatisation serait tout à fait normale en cas de grosse performance. Ma seule contrainte, depuis cette médaille, est d’entrer un peu plus dans une bulle pour me protéger », affirme, lucide et réfléchie, la jeune championne.

« Avec son entraineur, nous avons filtré et géré les appels suite à ce titre. Nous avons accepté une sollicitation sur deux en moyenne. Elle a trouvé tout ce tourbillon assez amusant. Elle a pris du plaisir à répondre. »

Tout s’enchaine si vite. Calme, Océanne Muller ne semble pas du tout dépassée par les événements. Pourtant, devenir championne d’Europe à la carabine 10m a été, selon son propre avis, une surprise, car elle visait « seulement » la finale, à Osijek en Croatie.

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« Je n’ai toujours pas de mots pour décrire ce que je ressens. Je me suis retenue de pleurer. Mais cela ne me donne pas de pression supplémentaire pour les Jeux, même si j’ai changé de statut et que je fais désormais partie des favorites », assure-t-elle.

Et c’est justement ce qu’elle cherche. Créer la crainte chez l’adversaire. Car elle sait ce qu’elle vaut. Même si Martial Anstett préfère tempérer.

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« Je préfère qu’elle se mette dans la peau d’une outsider en vue des Jeux. Car même une championne d’Europe ne représente pas une grande menace aux yeux des Indiennes, qui sont très fortes, des Américaines ou des Chinoises. Mais Océanne est, selon moi, dans le top 8 », explique l’entraineur de l’Alsacienne.

Elle est tellement fière de sa médaille d’or qu’elle la garde toujours avec elle, dans son cartable.  La semaine au sport-études de Strasbourg, où elle loge, le week-end à la maison, à Brumath. A 18 ans, elle fête déjà sa dixième année de tir. Elle est une gamine lorsque, à force de suivre son père sur les stands, elle débute la discipline à 8 ans. Sa première arme est une carabine. Jérôme Muller se souvient clairement du premier jour.

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« Elle a tiré son tout premier plomb dans le noir du visuel. En plein milieu de la cible ! Je filmais au portable. J’ai évidemment toujours la vidéo ! Et elle m’a dit, du haut de ses 8 ans « papa, on revient ici tous les dimanches ». Il est clair que cela lui a plu immédiatement ! »

Océanne est plus mesurée.

« Je pense que j’avais un peu de talent… » dit-elle simplement.

Le bac et les Jeux

Océanne fera donc du tir en plus du karaté, qu’elle pratiquait depuis un an. Comme tout va bien à l’école, elle mène tout de front. Très vite, elle dispute son premier championnat de France des écoles de tir, alors qu’elle n’est encore que poussine 2e année. Il fait très chaud dans la grande salle de Montluçon cet été-là. Mais Océanne est superstitieuse. Elle tient à tirer dans la même tenue que lors de ses entrainements en Alsace. C’est-à-dire avec un jean et une veste polaire. Ce serait gênant pour n’importe qui, compte tenu de la température. Mais Océanne, malgré son jeune âge, c’est d’abord une énorme volonté. Alors une polaire ou pas… Et devant une centaine de concurrentes, elle devient championne de France. Quand elle pose fièrement avec sa médaille, son papa, fière, l’interpelle.

« Je lui ai demandé ce que cela faisait d’être sur la première marche du podium. Elle m’a simplement répondu que c’était haut ! Je ne m’attendais pas à cette réponse », sourit Jérôme Muller.

La progression d’Océanne est linéaire, régulière.

« Mes parents n’ont jamais dû me pousser pour le tir. Les très rares fois où j’ai rechigné à aller à l’entrainement, ils ne m’ont pas forcée. Ils savaient très bien que l’envie reviendrait toute seule… »

Elle intègre, en classe de seconde, un sport-études. Le CREPS de Strasbourg et ses superbes installations. Elle y côtoie près de quatre cents athlètes de toutes disciplines. Ce sera donc le tir et seulement le tir. Elle abandonne le karaté, même si elle a, alors, pratiquement le niveau ceinture noire. Les années sont chargées : cours de 8h à 17h. Puis entrainement avec Martial Anstett. Et le soir, devoirs. Le week-end, elle rentre à la maison et s’entraine parfois dans son club de Harthouse à Haguenau.

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Cette année, c’était la terminale. Avec une échéance capitale, le mois dernier, le bac !

« En commun accord, car elle participe à toutes les décisions, nous avons convenu de passer de cinq à deux entrainements par semaine, pour qu’elle prépare ce bac », explique Martial Anstett.

Et début juillet, les résultats sont tombés : elle est reçue ! Cette fois, contrairement aux championnats d’Europe, il n’y a pas vraiment de surprise. Océanne a toujours été une bonne élève. Une battante, surtout lorsqu’elle a un objectif. La toute fraiche bachelière de 18 ans défendra donc les couleurs de la France à la carabine 10m.

« J’ai souvent rêvé que j’étais championne olympique. Aucune fille n’est au-dessus du lot. Mais tout dépendra du jour J… »

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A Tokyo, elle retrouvera ses amis… Car les siens sont « à l’international ». Tireurs et tireuses allemands, Italiens, chinois etc… Pour son dix-huitième anniversaire, en pleine crise sanitaire, ses parents ont trouvé une idée originale pour remplacer une sortie en famille alors impossible à l’époque. Ils ont sollicité le milieu du tir sportif pour un petit mot, ou une carte postale. Mais ils ne s’attendaient pas à autant d’amour pour leur fille !

« Nous avons reçu des colis et des cadeaux de partout ! De Chine, de Russie, de Hongrie et ailleurs ! Le salon était plein, on ne savait plus où les mettre ! Il y a eu des vidéos de plein de tireurs et même de ses futures adversaires aux Jeux », raconte Marianne Muller, la maman d’Océanne.

Pour sa sœur…

En compétitions, les amis, en Alsace, la famille ! Océanne n’est pas du genre à sortir, faire la fête et lors des rares « restos entre copines », elle rentre à 21h. Son temps libre, elle le consacre à ses trois petites sœurs avec lesquelles la relation est fusionnelle.

« On danse, on joue au Monopoly, au « loup-garou ». Et je guide la dernière, qui a 10 ans et vient de commencer le tir… »

Martial Anstett n’a pas envie de proposer à Océanne de se lâcher une bonne fois. En faisant une vraie fête entre amis, puis une bonne grasse matinée, pour déconnecter et évacuer. Il se rend bien compte que pour l’instant, son élève est très équilibrée dans cette vie sage. Ce qu’ils s’autorisent juste, tous les deux, c’est de ne pas s’entrainer quelques jours de suite, créer un manque et lorsqu’elle revient, Océanne est encore plus forte. Elle rentre dans sa bulle et devient inarrêtable. Son truc à elle ? La tête haute. Indispensable séquence. Juste avant de poser sa joue sur l’arme et d’entrer en visée, Océanne, tête haute, regarde droit devant elle. Mais ses yeux sont totalement dans le vague. Ils se voilent. Questionnée après coup, elle-même ne sait pas, à cet instant, à quoi elle pense. Puis elle se tourne vers la cible et se cale sur l’arme. Si d’autres athlètes ont ce rituel, il est plus un réflexe, chez eux. Pour Océanne, c’est la clé de son tir. Elle tire beaucoup moins bien si elle ne le réalise pas.

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« Si vous dites à Océanne qu’elle est une enfant prodige, ce que je crois, cela ne la perturbera pas », assure Martial Anstett.

Avec déjà des médailles. Dont une a une histoire personnelle et émouvante. En 2019, deux semaines avant de partir en Coupe du monde en Allemagne, Lucy, l’une des sœurs d’Océanne âgée de quatre ans de moins et atteinte d’une insuffisance rénale terminale, tombe dans le coma. Océanne est bouleversée. Elle jure à sa cadette de lui rapporter une médaille. Elle obtient le bronze et fond en larmes. Les observateurs pensaient à l’émotion de la victoire. Océanne est surtout fière de s’être battue pour sa petite sœur.

Martial Anstett est spectateur (et acteur) privilégié de cette énorme volonté d’Océanne. Un monstre mental, si jeune.

« Elle me surprend. Cela fait pourtant plus de dix ans que j’entraîne au haut niveau. Clairement, sur le plan du mental, Océanne n’a rien à voir avec les autres. Elle au-dessus. C’est un diamant. Car elle arrive à élever son niveau en quelques coups. »

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A Tokyo, Océanne ne se présentera pas aux épreuves de karaté. En revanche, elle fera probablement des katas, exercices de démonstration, avant son épreuve de tir. Ils la détendent, la défoulent et lui permettent de se concentrer. Elle n’aura peut-être pas encore terminé la lecture de l’autobiographie d’un immense champion français, Martin Fourcade, qu’elle admire. Le biathlète français a remporté cinq titres olympiques ! Un palmarès incroyable et inaccessible. Mais qui sait, en commençant à 18 ans….

Écrit par Fabrice DAVID


Palmarès

2021

Médaille d’or – championnat d’Europe – Carabine 10 mètres (Croatie)

Médaille d’or – championnat d’Europe – Carabine 10 mètres par équipe mixte (Croatie)

2019

Médaille de bronze – coupe du Monde – Carabine 10 mètres junior (Allemagne)

Médaille de bronze – championnat d’Europe – Carabine 10 mètres junior (Croatie)

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