Éric Delaunay, un atout dans la Manche

Il pourrait passer pour un ours, qui ouvre et ferme lui-même le stand de tir de Bréville-sur-Mer, où il s’entraine le plus souvent seul. Mais ce n’est pas un ours solitaire, bien au contraire ! Très communicatif et hyper populaire dans sa région de Normandie qui le suit de près et participe à ses défis, copain de Miss France 2021, Éric Delaunay, tireur en skeet olympique, ne sera pas perturbé s’il y a du vent, le Jour J aux JO de Tokyo… Parce qu’il sera dans son élément.

C’est son bout du monde à lui. Département de la Manche. Côte ouest du Cotentin. Le stand de tir est champêtre, en bord de forêt, à 300 mètres de la mer, sur une butte souvent balayée par le vent. Les plateaux d’argile explosent à chaque coup ou presque. Le geste est ultra-rapide. Le natif de Saint-Lô, musclé, barbe soignée, sourire permanent, se tient droit. Contrairement à de nombreux tireurs au plateau, il ne se penche pas en avant pour mieux encaisser le recul après un tir. C’est un costaud, aux forts biceps. Il réalise sa gestuelle à la seule force des bras.

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« Lors de l’épaulé, la plupart des tireurs effectuent une poussée du corps et des bras vers l’avant. Moi, je bascule et j’économise ainsi des gestes parasites. Seuls mon bras et ma main droite montent la crosse sous la joue. Ma main gauche me sert de pivot. C’est une technique très personnelle », explique Éric Delaunay.

Le Normand aime présenter sa discipline. D’ailleurs, en dehors des périodes de restrictions sanitaires, il reçoit régulièrement des comités d’entreprise au stand de Bréville. Il apprend le tir aux novices.  Il fait également bénévolement découvrir son sport dans les écoles.

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« Il est très pédagogue. Il sera entraineur, plus tard, ce sera la suite logique de son parcours », confirme Denis Prével, son partenaire d’entrainement. « Mais il est aussi vrai qu’il aime être seul, avec ses routines. Il tond lui-même la pelouse du stand de tir. C’est son plaisir de s’occuper de son outil de travail, comme on rangerait son bureau. Au fond, c’est un solitaire qui est très à l’aise en société. »

Un solitaire mais pas du genre renfermé. « Je le vois très vite, quand ça va ou pas. Avec lui, c’est blanc ou c’est noir. Il n’y a pas de demi-mesure », confirme son meilleur ami Bertrand d’Aprigny.

Si Éric Delaunay aime être seul lorsqu’il s’entraîne sur ce bout de côte en bord de mer, il est en revanche très affable lorsqu’il se balade dans Saint-Lô, sa ville natale. Plus d’une centaine de commerçants se sont d’ailleurs mobilisés pour aider l’enfant du pays dans sa recherche de sponsors, afin de compléter le financement fédéral de ses entrainements et de son matériel. Indispensable.

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« Chaque cible coûte 18 centimes à l’unité, chaque cartouche en coûte 40. Je tire 50.000 cartouches et donc autant de cibles à l’année. Faites le calcul… »

Du coup, il est en vignette autour des baguettes de pain. Pareil pour le menu ou le dessert à son nom dans une brasserie du centre-ville. Le chocolatier, lui, propose une petite spécialité en forme de cible. D’autres commerçants organisent des tombolas. Tous acceptent bien volontiers de jouer le jeu car des athlètes olympiques originaires du pays, ce n’est pas fréquent ! Les partenariats, qui ont commencé l’an dernier, sont un succès.

Delaunay sur TF1 !

Cette connexion entre une ville et son champion a d’ailleurs intéressé le JT de TF1, qui a suivi Éric Delaunay toute une journée, en mars dernier.

Bertrand d’Aprigny en profite pour chambrer son ami. « Pour le titiller, je lui dis que je suis en train de déguster une choucroute ou un camembert Delaunay. Et il me répond. Pour m’énerver, il me sort des grandes théories sur le foot que je connais mieux que lui. En plus, il a les pieds carrés comme je n’en ai jamais vu ! »

©Facebook Eric Delaunay

Éric Delaunay est un tireur à part dans le circuit mondial. Peut-être un de ceux qui s’entrainent le moins le fusil en main… Et pour cause !

« Au stand de Bréville-sur-Mer, je ne tire que par demi-journées. Pour éviter les nuisances sonores et préserver les oiseaux, la faune et le voisinage, même si les premières maisons sont loin. Ce n’est pas un arrêté municipal qui l’exige, c’est une décision du club. Du coup, mes adversaires s’entrainent certainement plus longtemps que moi chaque jour, mais cela ne m’empêche pas de rivaliser au plus haut niveau. Car je me lève, je mange et je dors en pensant tir ! » confirme le champion.

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En effet, le reste de sa journée, qu’il estime souvent trop courte, est entièrement consacré à sa discipline. Par le biais du « développement personnel » et de toutes les méthodes modernes pour performer. Il s’intéresse à la psychologie et s’astreint tous les jours à une séance d’imagerie mentale. Il pratique aussi la musculation et le fitness.

« Je pense à ma séquence de tir. Je me vois m’installer sur le pas de tir, réaliser ma gestuelle. Je visualise mes plateaux selon les postes. Au ralenti. L’aspect mental représente, selon moi, 70% de la performance. »

Car il n’a presque pas droit à l’erreur, pour casser 123 plateaux sur 125, score souvent nécessaire en compétition internationale, pour rentrer en finale.

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A 33 ans, il se couche à 23h et se lève à 7h. Il ne s’autorise quasiment jamais d’écart. C’est une discipline de sportif de haut niveau qui lui vient de son éducation. Son ami Bertrand se souvient notamment, lorsqu’ils étaient ensemble au lycée, de l’exigence de ses parents en matière de sorties ou de travail scolaire.

« Les parents d’Éric travaillaient sept jours sur sept. Dans leur armurerie la semaine et dans leur club de ball-trap le week-end. Ils ont appris à leur fils que l’on n’a rien sans rien. Aujourd’hui, je retrouve cela dans la rigueur de l’entraînement que s’impose Éric pour réussir dans le tir », raconte Bertrand d’Aprigny.

« Mes parents m’ont appris la valeur des choses. Enfant, dans le club de ball-trap familial, tirer était une récompense, si j’avais bien travaillé ou bien tondu la pelouse. Rien n’était acquis sous prétexte que nous étions « chez nous ». Aujourd’hui, j’ai l’impression que lorsqu’un ado casse son téléphone, il se dit que ce n’est pas grave, que ses parents lui en rachèteront un et je trouve cela bien dommage. »

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Un « contrat » avec Miss France

« Né sur un pas de tir », comme il le dit lui-même puisque sa maman, même enceinte, continuait d’être présente au ball-trap familial, Éric Delaunay remporte son premier titre international à 24 ans. Champion d’Europe en 2011. Il est aussi champion du monde par équipe en 2015 et 2018. Mais subit une relative déconvenue, avec une septième place aux JO de Rio, en 2016.

Les Jeux… Enorme enjeu pour un athlète fier de son sport, qui connaît ses classiques, et qui aime rappeler que le tir est la plus ancienne discipline olympique avec l’athlétisme car le baron Pierre de Coubertin était lui-même tireur.

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Le report de la compétition, l’an dernier, n’a pas été un coup dur. Il l’a pris avec philosophie, estimant qu’un sportif de haut niveau doit être prêt à l’inattendu, capable de s’adapter et de changer son programme.

Éric Delaunay a d’ailleurs peu de passions ou de hobbies qui ne soient directement liées à son sport. Sauf la pêche. « Je pars en mer et je m’y ressource. Je pêche essentiellement des bars ! »

Il craque aussi pour la nourriture japonaise ! Mais à Tokyo, il sera totalement concentré sur la compétition. Pas question de sortir pour découvrir, en ville, un restaurant typique. Il le regrette, mais il respectera les consignes, même après la compétition.

©Facebook Eric Delaunay

Mordu de musculation, parlant couramment l’anglais et l’espagnol, fluide en italien, élu « Modèle Elégance Normandie » en 2013 suite à un « casting sauvage » dans une salle de sport, Éric Delaunay est considéré comme une « personnalité » locale. Même s’il n’aime pas trop le terme. Et c’est à ce titre qu’il a eu l’honneur de faire partie d’un autre jury d’élégance à l’automne dernier, le plus prestigieux de sa région, celui de Miss Normandie. Il s’est lié d’amitié avec la lauréate, Amandine Petit, avec laquelle il a par la suite participé à diverses opérations promotionnelles. Puis ils se sont lancé un défi. Si elle remportait l’élection de Miss France 2021, il devait gagner l’or aux Jeux. Elle a rempli sa part du contrat…

Écrit par Fabrice DAVID


Palmarès

2021

Médaille de bronze par équipe – coupe du monde (Italie)

2019

Médaille d’argent – coupe du monde (Finlande)

Médaille d’argent par équipe – championnat d’Europe – (Italie)

2018

Médaille d’or par équipe – championnat du monde (Corée du Sud)

2015

Médaille d’or par équipe – championnat du monde – (Italie)

2014

Médaille de bronze par équipe – championnat du monde (Espagne)

2011

Médaille d’or – championnat d’Europe (Serbie)

Médaille de bronze par équipe – championnat d’Europe – (Serbie)

2010

Médaille de bronze par équipe – championnat d’Europe (Russie)

Médaille de bronze par équipe – championnat du monde – (Allemagne)

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