Vincent Fagnon, le tir pour une deuxième vie

Vincent Fagnon tire depuis … 2017. Quatre ans plus tard, il est qualifié pour les prochains Jeux Paralympiques ! Une progression fulgurante pour ce fanatique de sports à la télévision et passionné d’histoire. A 39 ans, il possède encore une énorme marge de progression.

Il est le plus « jeune » dans le tir au sein de l’Equipe de France. Même si son univers, avant son accident de voiture qui a provoqué une torsion de la moelle épinière, avait un rapport avec les armes. Vincent Fagnon était sous-officier dans la gendarmerie. Mais entre le tir de protection avec un pistolet de dotation et la précision du tir sportif à la carabine, il y a un monde…

« Cela n’a rien à voir ! Même s’il y a un air de famille… C’est vrai qu’en tant qu’ancien gendarme, j’ai été plus à l’aise, pour découvrir le tir sportif, que si j’avais été prof ou banquier », concède-t-il.

Sa « deuxième vie », en fauteuil roulant, est celle d’un carabinier spécialiste de 10m couché. Une discipline qui … n’est pas celle pour laquelle il concourra à Tokyo !

« Aux Jeux, je tirerai à 50m. Je m’entraine à cette distance surtout en stage en Equipe de France. A Saint Quentin aussi, dans mon club, mais essentiellement l’été. Car chez nous, la météo n’est pas favorable toute l’année », sourit-il.

Avant 2017, la pratique du tir sportif n’avait presque jamais effleuré l’esprit de Vincent Fagnon. « Presque » parce qu’il en a fait un peu, en loisir, sur les conseils de son prof de sport lors de sa rééducation, juste après son accident de voiture, le 14 juillet 2005.  Il évite de justesse la tétraplégie mais refuse de sombrer et se bat. Alors il suit les conseils pour casser le quotidien. Il s’essaie au tir. Mais très vite, il range la carabine, reprend des études de comptabilité et retrouve une activité professionnelle. Son métier ? Comptable dans un lycée de Laon. Mais après un accident de santé en 2017 et l’ablation du coccyx, il est en congé maladie et se souvient de s’être occupé agréablement avec du tir sportif, douze ans plus tôt. Il réessaye et c’est le déclic ! A tel point qu’il décide de passer à mi-temps dans le cadre de son travail au lycée pour embrasser, en parallèle, cette nouvelle passion du tir.

©Anpperu

« Le handicap fait voir les choses autrement et modifie l’ordre des priorités. Je ne veux surtout pas avoir, plus tard, les regrets de ne pas avoir pratiqué à fond un sport dans lequel je m’épanouissais. »

Car le tir a été plus qu’une révélation. Le début d’une nouvelle vie. Un soulagement pour ses proches.

« J’ai retrouvé, depuis 2017, mon frangin d’avant accident. Il sort, il fait des projets, il est plein de vitalité, tourné vers l’avenir. Ce n’est plus le Vincent qui ressassait entre 2005 et 2017. Grâce au tir ! », affirme Sébastien Fagnon, frère de Vincent.

Sébastien a même déménagé, après l’accident de Vincent. Pour acheter une maison qu’il pouvait « couper en deux » afin de vivre aux côtés de son frère devenu handicapé. Chacun son autonomie, mais Sébastien veille et aide son cadet si besoin.

Sous l’aile du « patron »

Les résultats sportifs ont rapidement suivi. Un an après ses « vrais » débuts au tir sportif, Vincent Fagnon termine sixième aux championnats d’Europe en carabine 10m couché. A cette occasion, il bat même un record mondial un peu particulier. Celui du nombre de tirs de barrage pour continuer en finale. Quatre ! C’est du jamais vu ni chez les tireurs valides ni chez les para-tireurs ! En octobre 2019 à Sydney, il obtient, pour sa première participation à un championnat du monde, la 5ème place par équipe dans les deux catégories, 10m et et 50m. Des résultats étonnants, si vite !

« Franchement, en 2017, je ne peux pas dire que j’ai « repris » le tir. J’avais essayé, en loisir quelques années plus tôt, mais franchement, je partais quasiment de zéro ».

Un talent exceptionnel ? Modeste, il trouve une autre explication.

« J’ai surtout eu la bonne idée de me licencier au club des carabiniers Saint Quentinois pour pratiquer le para-tir. Et d’y rencontrer Didier Richard. Il m’a permis, avec ses conseils et sa pédagogie de gagner des précieux mois d’apprentissage. En ce qui concerne la respiration ou l’entrée en cible, par exemple. »

©FFTir/F.Pervillé

Didier Richard, spécialiste de la carabine 50m trois positions, maitrise parfaitement son sujet puisqu’il pratique une discipline très complète et exigeante. Lui aussi qualifié pour les Jeux Paralympiques, il aime transmettre et a immédiatement pris Vincent Fagnon sous son aile.

« Il y avait beaucoup de travail. Déjà, lui adapter son fauteuil, lui apprendre les gestes de base. On peut dire qu’il débutait mais a progressé très vite ! Je pense qu’il a un vrai don. Et selon moi, il n’exprime aujourd’hui que 70% de son potentiel », explique, admiratif, Didier Richard.

Pendant près de neuf mois, jusqu’à ce que son « poulain » Fagnon intègre l’équipe de France, Didier l’entraîne, presque au quotidien, sans rien demander en retour, séduit par la personnalité de l’ex gendarme et impressionné par son potentiel.

©FFTir/J.Heise

Dès son premier stage avec l’Equipe de France, Vincent Fagnon fait la connaissance de Valérian Sauveplane, qui venait d’arrêter sa carrière de haut niveau, multimédaillé en coupes du monde et championnats du monde. Et qui s’est passionné pour le matériel, notamment des para-tireurs.

« Comme à tous les autres seniors du groupe France, il a réalisé mon fauteuil de tir. Il lui a donné une rigidité accrue et des réglages quasi illimités mais néanmoins très fin et précis. Pareil pour la carabine, qu’il a su adapter à mes caractéristiques. J’ai énormément progressé, au même titre que mes collègues et nous avons, je crois, rattrapé et même dépassé le niveau de nations qui étaient devant nous ! », explique, admiratif, Vincent Fagnon.

©Anpperu

Dans son plan de carrière sportif, il se voyait, en 2021, disputer les championnats de France, au mieux. Mais au bout d’un an, à la Coupe du Monde à Châteauroux, il finissait ses matchs au-dessus de 630 points.

« C’est vrai que tout le monde était surpris dans le milieu… » avoue-t-il.

Egypte Ancienne

Et cette année, les Jeux ! A Tokyo, il défendra ses chances, avec beaucoup de fierté à l’idée de représenter la France, lui, l’ancien militaire. Mais surtout, il observera et emmagasinera de l’expérience.

« Il sait ce qui lui manque encore pour le très haut niveau. Avoir obtenu des résultats si vite ne lui est pas monté à la tête au point de se prendre pour un autre », assure Sébastien Fagnon.

L’officier de gendarmerie qui a fait hypokhâgne et est devenu comptable, tireur sportif sur le tard qualifié pour les Jeux quatre ans après ses débuts à en plus, un jardin secret. Il se passionne pour l’Histoire. Et sur une sacrée période !

« De l’Egypte Ancienne à la fin de la Guerre froide. Avec un petit faible pour Napoléon et le premier Empire. J’ai une très grosse bibliothèque à la maison. Je regarde beaucoup de documentaires et je lis énormément. La lecture et le tir ont en commun le besoin de calme et de concentration. »

Et comme il est également un boulimique de spectacles sportifs à la télévision, surtout le foot qu’il a lui-même pratiqué au niveau régional jusqu’à son accident, les semaines sont chargées !

« Je travaille trois jours, je m’entraine trois jours et le dimanche je me repose devant du foot ou en lisant. »

Le Picard de la haute-Somme né à Cambrai a demandé, dès ses débuts, à son père d’être son « accompagnateur ». Jean-Claude Fagnon venait à peine d’être à la retraite, timing parfait. C’est donc lui qui prépare la carabine, le fauteuil, installe Vincent, introduit les munitions. Plombs au 10m, cartouches au 50m. Ils ont des gestes codes entre eux et n’ont pas besoin de se parler.

« Entre nous, c’est très fusionnel. On ne s’engueule jamais à l’entrainement. Mais je ne suis plus « papa » sur le stand de tir, je suis son accompagnateur et je suis aux ordres. Et s’il veut débriefer sa séance, je suis prêt à le faire car j’observe beaucoup le SCATT notamment. Mais s’il ne veut pas, je n’insiste pas », explique Jean-Claude Fagnon.

Lorsque la séance est terminée, Jean-Claude redevient papa. Et ils ne parlent plus de tir dans la vie privée. Jean-Claude a néanmoins du mal à cacher son impatience de partir à Tokyo avec son fils.

À  Tokyo, « Blanche Neige » sera probablement très couvert, comme toujours. Très blanc de peau surtout l’hiver, très frileux, il a hérité de ce surnom par Didier Richard. Un sobriquet affectueux. Didier sera son premier supporter lors des Jeux. Ainsi que Sébastien, bien sûr. Entre les deux frères, c’est fusionnel. Et celui qui restera, en août, dans la grande maison de l’Aisne aura certainement, lui aussi, l’impression de remporter une médaille si Vincent Fagnon, qui ne fait que surprendre depuis quatre ans, étonne encore tout le monde !

Écrit par Fabrice David


Palmarès

Carabine 10m couché

2021

Médaille d’or par équipe (Pérou)

2020

Médaille d’argent – Championnat de France (Niort)

2019

Médaille d’argent par équipe – Coupe du monde (Émirats Arabes Unis)

Médaille de bronze – Championnat de France (Lanester)

2018

Médaille de bronze par équipe – Championnat d’Europe (Serbie)

Carabine 50m couché

2021

Médaille d’argent – Coupe du monde (Pérou)

2019

Médaille de bronze par équipe – Coupe du monde (Croatie)

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