Tanguy de la Forest, « chercheur d’or »

Breton et fier de l’être, Tanguy de La Forest disputera cet été ses 5e Jeux Paralympiques ! A la carabine 10m et 50m. Le « taulier » de l’équipe de France de tir est un éternel insatisfait, qui cherche, depuis plus de trente ans, chaque petit détail qui améliorera encore un peu plus son tir. A 43 ans, il estime n’avoir jamais été aussi fort et vise l’or à Tokyo.

Le stand de tir la du Guesclin est situé dans un grand parc, à Rennes. Au milieu … de la forêt, serait-on tenté de dire tant Tanguy de La Forest y est chez lui. C’est là qu’il a débuté le tir il y a plus de trente ans, lorsqu’il entrait dans l’adolescence. C’est là que s’est construite l’une de plus belles longévités de ce sport, avec quatre Jeux au compteur. C’est là qu’a commencée une relation devenue, depuis peu, une vraie passion.

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« Enfant, malgré mon handicap de naissance, j’ai joué aux mêmes sports que les autres enfants. Mais je me suis vite rendu compte de mes possibilités. Ayant le goût de la compétition et de la victoire, je me suis orienté vers le tir. Ce sport a été, longtemps, une activité par défaut. »

Sa discipline ? La carabine. Sa distance préférée ? Le 10m, position debout. Chez les para-tireurs, debout signifie que les coudes ne sont pas posés sur une tablette, elle-même fixée au fauteuil, mais ballants. Ce qui ajoute à la fatigue. En revanche, compte tenu de son handicap, Tanguy n’a pas la force de supporter le poids de la carabine. Elle est donc posée par Antoine, son « accompagnateur », sur une potence avec ressort. Tanguy oriente la carabine d’une manière peu courante dans le milieu du tir. En effet, il estime que ce n’est pas à lui à aller vers l’arme mais à celle-ci de venir à lui. Il la penche, grâce à la souplesse du ressort et l’emmène se glisser sous sa joue. La carabine est donc inclinée lors du tir. Cela s’appelle un « dévers ». Et Tanguy peut rester droit dans son fauteuil.

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Le Breton tire aussi en 10 m et 50m couché, disciplines dans lesquelles il a le droit, cette fois, de prendre appui avec ses coudes sur la tablette du fauteuil. Trois disciplines, pour un athlète complet qui se faisait remarquer, jusqu’au début 2020, par son bandeau sur le front aux couleurs du drapeau de sa région natale.

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Mais quelle que soit la distance ou la discipline, Tanguy de La Forest est un « chercheur ». Du détail qui fera évoluer son tir.

« Je ne tire jamais de la même façon d’une année sur l’autre. J’aime changer ma position, modifier quelque-chose, toujours. Chercher plus, chercher mieux. Et m’imposer de nouvelles contraintes. Ce n’est pas du tout par goût de me mettre en danger. C’est plutôt pour éviter de m’endormir sur mes acquis… », explique Tanguy de La Forest.

Et parmi ces contraintes, il y la … cave ! Celle de la maison de ses parents, froide et mal éclairée, dans laquelle il s’est aménagé un pas de tir. Tanguy aime s’entrainer dans l’inconfort, pour que la compétition lui apparaisse, à l’inverse, comme un nuage de coton. Méthode gagnante puisque c’est toujours en compétition qu’il obtient ses meilleurs scores et qu’il améliore ses records personnels. Il ne manque qu’une médaille paralympique à son palmarès. Un palmarès dans lequel ne figure pas … sa première victoire. Remportée à un concours de tir à la kermesse du village familial lorsqu’il avait huit ans, et qui fut le déclic qui l’orientera vers ce sport.

Aujourd’hui, avec sa longue expérience, Tanguy de La Forest n’a plus besoin de penser, gestes après gestes, à sa séquence de tir. Ses automatismes sont naturels. Il s’intéresse seulement à une sensation globale. Le plus important :

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« La concentration. Techniquement, les vingt meilleurs mondiaux sont tous d’un niveau équivalent. Le meilleur sera le plus fort mentalement. »

Et la concentration, chez Tanguy, est telle qu’il en faut beaucoup pour le perturber.

« Quand j’entre dans ma bulle, si un verre tombe et se casse derrière moi, je ne m’en rends pas compte. En revanche, à la fin de mon match, je me souviendrai qu’un verre s’est cassé à un moment donné… »

« Ma normalité… »

Tanguy de La Forest est atteint d’amyotrophie spinale infantile. Maladie génétique neuromusculaire rare qui se matérialise par une dégénérescence de la moelle épinière. Elle touche une naissance sur six mille en France.

« J’ai toujours vécu avec ce handicap de naissance. Il est ma normalité. »

Le jeune Tanguy aurait pu s’isoler, se rendant compte qu’il lui était difficile de faire comme les autres. Au contraire.

« Il réalisait des choses assez incroyables compte tenu de son handicap. Je me souviens de lui voulant toujours participer. Même si c’était du foot, il ne restait pas de son côté. Dans beaucoup de domaines, il avait besoin de ses copains mais ses copains avaient besoin de lui », se souvient sa soeur Patricia.

Il y a près de quinze ans, Tanguy a créé, avec Patricia, un cabinet spécialisé dans le recrutement de travailleurs handicapés.

« Pour aider les entreprises qui recherchent, d’abord des compétences, mais aussi le statut de travailleur en situation de handicap afin de se conformer à la législation », précise Tanguy.

Malgré son emploi du temps de sportif de haut niveau, il y a un vrai rôle opérationnel.

« Il aime créer, il a tout le temps des idées. Il est d’un dynamisme et d’une persévérance incroyables ! Je crois que sa réussite dans le sport influe sur celle dans le monde de l’entreprise et inversement. Il a besoin de l’un comme de l’autre », affirme Patricia.

Très investi sur le sujet du handicap et dans le milieu associatif, Tanguy de La Forest est également secrétaire général du Comité Paralympique Sportif Français et fait partie du conseil d’administration du comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Il est également associé à son frère ainé Arnaud dans une deuxième PME, où ils ont pris la suite de leur père, spécialisée dans la distribution d’objets publicitaires aux entreprises.

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« Tanguy est très réfléchi. Il aime chercher comment avancer et obtenir l’affaire. Mais il ne forcera pas le client. Enfant, c’était pareil. Il s’intégrait grâce à sa détermination. Il ne pouvait que jouer dans les buts, car il marchait légèrement à cette époque, lors de matchs de foot à l’école et il y allait ! Il avait beaucoup de copains impressionnés par sa force de caractère », se souvient Arnaud de La Forest.

Celui qui compte plus de cinq cents relations sur Linkedin regrette de ne pas s’entrainer assez au tir. D’autant qu’en plus de ses activités professionnelles, il traverse régulièrement la France d’est en ouest. Car le siège de ses entreprises est à Rennes, où vivent également ses parents. Et lui habite avec sa compagne en Haute-Savoie. Il effectue une à deux fois par mois le trajet dans un grand véhicule entièrement adapté à son handicap et aménagé pour y ranger tout le matériel de tir et les deux fauteuils. Et il s’entraine très souvent à peu près à mi-chemin, à Paris. Cet emploi du temps chargé l’a poussé, il y a près de trois ans, à entamer une réflexion sur le fait d’arrêter le tir. Un ultime stage devait l’aider à prendre cette décision. Il s’est rendu compte qu’il aimait trop le tir… Et pas que le tir puisqu’il y a rencontré sa compagne, Gaëlle Edon, elle-même para-tireuse en Equipe de France au pistolet à 10m et 25m.

« Nous sommes installés, chez moi, en Haute-Savoie parce que je ne peux pas quitter cette région. J’y pratique l’alpinisme avec du matériel adapté, ce qui fait d’ailleurs flipper Tanguy. J’aime cela et j’en ai besoin. Evidemment, Paris et Rennes, c’est limité pour ce genre d’activité… », sourit la pistolière.

A la maison, Tanguy et Gaëlle tentent de séparer le tir de la vie privée.

« Même à l’approche des Jeux, nous évitons que notre sport soit notre seul sujet de conversation. Mais lorsqu’on en parle, Tanguy m’apporte son expérience. Pas sur la technique, puisque la sienne c’est la carabine. Mais sur la gestion du stress, des temps de pause, sur le mental… »

« Je ne laisse rien passer »

L’entrepreneur Tanguy de La Forest a, presque logiquement, professionnalisé l’organisation personnelle de sa vie de sportif de haut niveau. Il est le premier para-tireur qui a salarié son « accompagnateur ». Antoine l’aide à accomplir les gestes du quotidien dès le réveil lors des périodes de stages et de compétitions. Et assure la logistique. Il transfère Tanguy du fauteuil « civil » au fauteuil de tir, porte et installe le matériel, prépare la carabine, introduit les plombs.

« Ce que je demande à celui qui m’aide pour ma logistique, c’est qu’il soit hyper concentré dans les tâches qu’il doit exécuter », explique Tanguy. « Je ne lui demande pas de partager mes doutes ou de me conseiller en matière de tir mais de bien faire son travail. Je n’ai pas voulu prendre un ami ou un cousin pour ce rôle car je n’aurai pas pu lui dire « ça ne va pas ». Et comme je suis très exigeant…»

Antoine est étudiant en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives). Il n’a jamais tiré et a obtenu son poste sur un entretien d’embauche classique. Puis il a appris tous les gestes techniques. Sa tâche est bien plus lourde qu’il ne l’imaginait.

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« Je dois être au top physiquement. Par exemple pour porter Tanguy, dans des hôtels qui ne sont pas du tout adaptés à son handicap. En stage, certaines journées peuvent commencer à 6h30 du matin et se terminer après 20h. J’ai d’abord un rôle d’aide-soignant », explique l’étudiant de 24 ans. « Puis je deviens aide-logistique pour l’entrainement ou la compétition. Nous sommes réglés comme dans une  chorégraphie. Je charge le plomb, je me tiens droit, près de Tanguy, main dans le dos pour qu’il ne perçoive rien qui puisse le perturber, je le désépaule et ainsi de suite …»

La FF Tir a obtenu qu’Antoine bénéficie d’un statut de sportif de haut niveau pour aménager l’emploi du temps de ses études avec celui de Tanguy de La Forest.

« Cette expérience m’apporte beaucoup. Je viens d’un milieu modeste, j’ai grandi en famille d’accueil et la volonté et l’exigence de Tanguy m’ont montré que l’on pouvait se dépasser et croire en ses rêves. Cela m’a guidé pour trouver ma voie. Sans compter le fait que j’ai voyagé dans des pays comme l’Australie ! », poursuit l’étudiant.

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Antoine se souvient encore de sa « grosse boulette », lorsqu’il avait chargé un plomb à l’envers, ce qui a provoqué un tir raté de Tanguy et un triste 7. Il n’a pas l’intention de recommencer…

« Je ne laisse rien passer. Suite à cette histoire, j’ai pris le temps de lui expliquer les conséquences. Je crois qu’il a compris… », se souvient Tanguy de La Forest.

Arnaud, le frère ainé, n’est pas surpris que Tanguy ait choisi Antoine comme « accompagnateur ».

« Comme dans les affaires, il aime que les choses soient très claires. Il avait bien réfléchi et pesé le pour et le contre dans ce choix. C’est typique de Tanguy… »

Le point commun entre l’entreprise et le sport de haut niveau est comme une évidence pour le champion.

« La logique de la progression. Chercher des nouveaux clients comme de nouveaux axes de progression. Tout anticiper. Et la gagne, dans les deux cas… », explique Tanguy de La Forest.

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Et surtout cet emploi du temps surchargé.

« Il vit avec un téléphone greffé à l’oreille ! Il en fait trop même au détriment de sa santé. Quand je le lui fais remarquer, il en tient compte mais… », se résout Gaëlle Edon. « J’ai vraiment le sentiment que cette double vie continuera jusqu’à Paris 2024. »

En revanche, Tanguy de La Forest a un jardin plus intime. Même si les autres membres de l’Equipe de France sont au courant. Sa foi.

« Je vais à la messe, tous les dimanches. Sauf ces derniers mois, évidemment, à cause des contraintes sanitaires. Je ne prie pas Dieu pour qu’il me fasse gagner ou fasse échouer mes adversaires. Ce n’est pas ma façon de fonctionner. Je lui demande qu’il me donne la force de m’entrainer et de réussir. »

Cette foi est présente, sans être envahissante.

« Je sais qu’il est là dans les bons comme dans les mauvais moments. C’est un appui, une épaule », poursuit Tanguy.

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A Tokyo, cet été, Tanguy de La Forest repèrera très vite le lieu de culte du village paralympique. Là-bas, où il ira chercher l’or puisqu’il est à son meilleur niveau, il aura un avantage sur les athlètes qui découvriront un contexte particulièrement impressionnant. Car lui, cet événement planétaire, il connaît. Il prendra certainement plaisir à s’adapter à un stand de tir ultra-moderne qui lui paraîtra comme très confortable par rapport à la cave de la maison de ses parents à Rennes. Il gèrera parfaitement un stress qui n’est pas plus élevé que lorsqu’il donne une conférence devant une centaine de personnes. Et si un verre se casse, il ne l’entendra pas tout de suite. Totalement plongé dans sa bulle de concentration.

Écrit par Fabrice David


Palmarès

Carabine 10 m debout

2019

Médaille d’argent – Coupe du monde (Emirats Arabes Unis)

2018

Médaille de bronze par équipe – Coupe du monde (France)

Médaille de bronze par équipe – Coupe du monde (Emirats Arabes Unis)

Médaille d’or par équipe – Championnat d’Europe (Serbie)

Carabine 10 m couché

2018

Médaille de bronze par équipe – Coupe du monde (France)

Médaille de bronze par équipe – Coupe du monde (Emirats Arabes Unis)

Médaille d’argent par équipe – Coupe du monde (Emirats Arabes Unis)

Médaille de bronze par équipe – Championnat d’Europe (Serbie)

Carabine 50m couché

2019

Médaille de bronze par équipe – Coupe du monde (Croatie)

2018

Médaille d’or – Championnat du monde (Corée du Sud)

Médaille de bronze par équipe – Coupe du monde (France)

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