Alain Quittet, le démon de la compétition

Alain Quittet a eu plusieurs vies. La première a basculé après un accident de moto qui l’a laissé paraplégique. La dernière en date ? Celle d’un tireur à la carabine de 64 ans dont la progression a été fulgurante. A tel point qu’il ambitionne aujourd’hui de devenir l’un des médaillés français les plus âgés lors de Jeux Paralympiques !

La médaille au Jeux ? Il connaît déjà… C’était en 2008 à Pékin. Mais dans un sport qui n’a rien à voir avec le tir ! En hand-bike, discipline dans laquelle Alain Quittet performait à l’époque. Le hand-bike, c’est du vélo en fauteuil, muni d’un pédalier actionné par les mains. Quasiment à l’horizontale dans sa machine à trois-roues sur les routes de la capitale chinoise, il termine troisième du contre la montre et décroche la médaille de bronze ! Il est alors loin, très loin des stands de tirs, des carabines et des plombs. Il participe aux marathons de Paris, de Berlin, de … Beyrouth ! Il est l’un des meilleurs athlètes hand-bike de la planète.

©Team Handbike Comtois

« Quand cette discipline est apparue au milieu des années 90, j’étais un des premiers en France à la pratiquer. Je me suis énormément entrainé et j’ai obtenu des résultats. J’ai été en Amérique, au Canada, partout en Europe pour assouvir ma passion du hand-bike. Lors des marathons, nous, les fauteuils, partions une dizaine de minutes avant les valides. Ce sont des très beaux souvenirs …»

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Alain Quittet n’aurait jamais découvert le hand-bike s’il n’y avait pas eu cet accident… Février 1990. Il fait rugir sa moto, comme tous les dimanches matin sur un parcours endurance, et alors qu’il est presque à l’arrêt, bute sur une pierre.  Chute. Moelle épinière sectionnée. Il est paraplégique. Au centre de réadaptation de Mulhouse, il rencontre Patrick.

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« Il me disait qu’il était impossible de rester assis dans notre fauteuil tout le reste de notre vie. Il m’impressionnait car il a été rééduqué très vite et a retrouvé en quatre mois les gestes normaux du quotidien, alors qu’il faut plutôt six mois. Alain était une source de motivation », se souvient Patrick Moyses qui pratiquait, à l’époque, des courses en fauteuil. Les deux compères décident de créer le club d’athlé handisport de Mulhouse. Puis au début des années 90, ils découvrent le hand-bike, une discipline qui arrive à peine en Europe. Alain s’y met à fond, comme d’habitude. Jusqu’aux Jeux.

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Alain Quittet a donc déjà eu deux vies. Celle d’un adolescent et jeune homme valide, fraiseur chez Peugeot depuis qu’il a 16 ans (logique, lorsqu’on est originaire d’Audincourt, tout près de Sochaux dans le Doubs). Puis celle du champion de hand-bike. Mais à cause d’une nouvelle blessure, à l’épaule cette fois lors d’un transfert en voiture, il est obligé d’arrêter le vélo en fauteuil. Au moins au haut niveau. Ce sera le tir. Et une troisième vie.

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« Quand Alain est arrivé, il y a sept-huit ans, il n’avait jamais tenu une carabine de compétition. Mais c’est un compétiteur-né. Il apprenait très vite parce qu’il possédait déjà cette expérience du haut niveau et ce qu’il exige », raconte Jean-Marie Arroyo, moniteur au club de La Miotte, à Belfort.

Aidé pour charger la carabine

« J’ai alors décidé de m’y mettre sérieusement », se souvient Alain Quittet.

Et en matière de sport et de compétition, il ne fait rien à moitié. Il « s’y met sérieusement » en 2016, et il est aujourd’hui l’un des meilleurs du monde, qui disputera les Jeux Paralympiques en août prochain. Il aura fêté ses 65 ans.

« On m’a déjà fait remarquer qu’à l’âge où beaucoup de Français prennent leur retraite, j’irais aux Jeux. Mais je suis un jeune, dans le tir ! », s’amuse-t-il.

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Aujourd’hui, les nouveaux marathons d’Alain Quittet sont les journées entières qu’il passe ici, au stand de tir de la Miotte, coincé dans une impasse dans la Zone Artisanale d’Offemont, au nord de Belfort.

« Je ne peux plus prendre de risques. J’ai eu ma dose. Ma nouvelle passion, c’est le tir. Je ne pense pas être spécialement doué pour le sport. En revanche, j’aime m’entrainer et aller chercher les résultats au mental. »

C’est cette force de caractère qui impressionne Joël Stich, lui-même tireur amateur au club. Il est son « assistant », indispensable.

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« Cela fait un peu plus de deux ans. En pré-retraite, j’ai proposé mes services, au club. Je ne connaissais pas Alain car je tirais le week-end et lui en semaine. Je lui permets de se consacrer à l’essentiel en le déchargeant des tâches compliquées pour lui. »

Joël accompagne Alain Quittet aux entrainements où en compétitions. Ils font la route ensemble pour se rendre sur les stages Equipe de France, comme à Châteauroux, à plus de 500 km de Belfort, ou à Paris. Il l’aide à décharger le matériel, installer le fauteuil et c’est lui qui introduit les plombs dans la culasse, un geste minutieux qu’Alain ne peut plus faire compte tenu de sa paralysie à la main droite.

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A Tokyo, les athlètes « para » comme Alain ont le droit de bénéficier d’un assistant. Mais pour Joël, ce ne sera ni du tourisme, ni des vacances.

« Je me souviens qu’à Sydney, lors des championnats du monde, j’ai un peu profité de la ville. Mais « assistant », c’est surtout métro-boulot-dodo ! », rigole Joël Stich.

« Chacune de mes victoires appartient également à Joël. Nous passons beaucoup de temps ensemble. En revanche, je ne lui confie pas mes doutes car … je ne doute pas » sourit Alain Quittet.

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Le « démon »

Pour être le meilleur au tir, Alain Quittet a appris le yoga. Il pratique, une demi-heure presque chaque jour, des gestes pour mieux maitriser sa respiration. Il suit des régimes alimentaires, pratique la musculation et … s’offre de temps en temps des sorties en … hand-bike ! Sans un nouveau clin d’œil de ce destin qui ne l’a pourtant pas épargné, il n’aurait certainement jamais tiré. Et pourtant, ce sport occupe aujourd’hui presque toute sa vie et étanche sa soif de gagner.

« Je n’ai jamais été amer après mon accident. J’ai pris des risques en moto, j’assume. Et au final, je me suis passionné pour d’autres sports et j’ai parcouru le monde… »

©FFTir_V.Jeannerot

Ce monstre de volonté, fou de sport et de dépassement de soi, qui a parcouru le monde en hand-bike, ne s’est pas laissé abattre par une quinzaine de jours au lit à cause du Covid en octobre dernier.

« Un matin, mon dentifrice n’avait plus de goût. Comme j’étais très fatigué, j’ai compris… »

En revanche, les médailles en auront toujours, du goût. S’il en obtient une à Tokyo, Alain Quittet entrera dans le livre des records et celui des Jeux, car il aura, alors, 65 ans depuis le début du mois d’août ! Et il ne sera même pas surpris car le secret, selon lui, est assez simple, quel que soit l’âge : entrainement, entrainement et surtout entrainement.

Il a multiplié ses chances en étant qualifié pour l’épreuve du tir à la carabine 10 mètres couché (coudes qui reposent sur des appuis-coude pour tirer), le tir à la carabine 10 mètres debout (coudes en l’air, sans appuis) et le 50 mètres couché.

©FFTir_V.Jeannerot

« Sa principale qualité, c’est l’exigence. Mais elle est si développée, qu’elle en devient parfois un défaut », affirme Jean-Marie Arroyo, son premier moniteur.

Alain Quittet a une ambition, quasi unique dans l’histoire de l’olympisme : inscrire une deuxième fois son nom au palmarès des Jeux. Dans un autre sport.

« Tant que le démon de la compétition est là, je ne pourrais pas m’arrêter… », conclut-il, un sourire en coin.

Écrit par Fabrice David


Palmarès

Carabine 10 mètres debout

2018

Médaille de bronze – Coupe du monde 2018 (France)

Médaille de bronze par équipe – Coupe du monde 2018 (EAU)

Médaille d’or par équipe – Championnat d’Europe (Serbie)

Carabine 10 mètres couché

2018

Médaille de bronze – Coupe du monde (France)

Médaille de bronze par équipe – Coupe du monde (France)

Médaille de bronze par équipe – Coupe du monde (EAU)

Médaille de bronze par équipe – Championnat d’Europe (Serbie)

2019

Médaille de bronze par équipe – Coupe du monde – (EAU)

Carabine 50 mètres couché

2018

Médaille d’or par équipe – Championnat du monde (Corée du Sud)

Médaille de bronze par équipe – Coupe du monde (France)

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