Petit, grand du skeet

Ses plus belles années sont devant lui…A 48 ans ! Emmanuel Petit, homonyme du troisième buteur en finale de la coupe du monde de football 1998, est impatient de disputer l’été prochain ses premiers JO. Dans une discipline exigeante, le skeet olympique, qu’il a découvert à l’âge ou la plupart des sportifs de haut niveau sont déjà à la retraite. Pour le Brigadier-Chef de la Police Nationale, les défis vont s’enchaîner dès la fin de l’hiver. Si l’adage populaire veut que « la valeur n’attends pas le nombre des années », Emmanuel Petit prouve l’inverse.

« Un médaillé olympique à 52 ans ? Au skeet olympique, cela s’est déjà vu… »

Mais Emmanuel Petit se reprend, très vite…

« Je préfère ne pas me projeter… »

En 2024, aux Jeux Olympiques de Paris, le tireur français aura justement 52 ans, comme le koweitien Abdullah Al-Rashidi, qui a remporté le bronze en 2016 à Rio. Mais Emmanuel Petit sait que ses années au plus haut niveau sont comptées. Alors chaque chose en son temps. D’abord Tokyo, l’été prochain. Et c’est déjà un sacré challenge pour celui qui a tout fait… tard !

Emmanuel Petit

©FFTir/B.Aubray

A quelques kilomètres au nord-ouest de Niort, au milieu de la campagne des Deux-Sèvres, une petite route vers un mur gigantesque de centaines de bottes de paille sur une centaine de mètres de long. Le Ball-trap Club Aunis s’étend sur quatre hectares, entouré de cette étonnante structure en surplomb d’une butte pour former, sur une hauteur de douze mètres, un mur anti-bruit. Emmanuel Petit est chez lui, dans cette structure qui existe depuis 1956 et où se pratiquent tir aux plateaux et ball-trap. Et y assouvit cette passion « tardive », devenue un objectif olympique !

« J’ai découvert le tir aux plateaux à 22 ans ! Je venais d’entrer dans la police. Un jour, un collègue m’a proposé de faire un ball trap… J’ai dit pourquoi pas… »

Le collègue en question, Yann, concède que ce jour-là, il aurait tout aussi bien pu suggérer à Emmanuel de faire un foot. Le but était surtout de tuer le temps un dimanche.

« Quand on voit où cela l’a emmené… J’ai peut-être été un élément déclencheur », sourit Yann.

Yann et Emmanuel Petit

©E.Petit

Dès ce premier jour, les autres tireurs et les responsables du club repèrent le nouvel arrivant. Ce jeune homme est doué, avec un sacré coup d’œil.

« Je pratiquais la chasse avec mon grand-père depuis mes seize ans. J’avais quelques acquis… », sourit Emmanuel, modeste. Il cherche alors sa voie, tâte du « compak sporting », un mix entre le parcours de chasse et la fosse. Et montre rapidement des facilités énormes. Il est vice-champion d’Europe quatre ans plus tard, en 1998, et 3e au championnat du monde en 2005 !

Pas assez « méchant »…

Emmanuel Petit aime le ball-trap mais il y a un problème. De taille. Ce sport n’est pas olympique ! Et, lui, il a bien envie de toucher au plus prestigieux… A 34 ans, il prend sa licence donc à la Fédération Française de Tir avec comme objectif … de disputer les Jeux ! Sa préférence va au skeet.

« Il n’est pas arrivé chez nous en la « ramenant » et racontant à qui voulait l’entendre qu’il visait les JO. Ce n’est pas du tout son genre. Mais il m’a avoué plus tard qu’il avait cette envie, presque une obsession », se souvient Anthony Szewc, son premier entraîneur.

Emmanuel Petit a du talent, un passé de tireur « ball-trap », des titres. Mais il y a du boulot pour devenir compétitif en skeet.

Anthony Szewc et Emmanuel PETIT

©E.Petit

« Il aimait prendre le temps de contrôler ses tirs. J’ai dû lui apprendre la vitesse d’exécution. Il a eu besoin de quatre à cinq années pour devenir compétitif sur cet aspect précis. Il était très à l’écoute, comme un jeune de quinze ans qui a soif d’apprendre. Mais il en avait plus du double ! », sourit Szewc.

Et le travail paye. Emmanuel Petit aurait dû découvrir les JO l’été dernier. Pour cause de crise sanitaire, ils ont été reportés. Mais paradoxalement, alors qu’il ne lui reste plus beaucoup d’années au haut niveau, il est soulagé.

« L’été dernier, je n’étais pas prêt mentalement. J’ai appris ma qualification trop tard. Je n’aurai eu aucune chance… »

Le mental, c’est justement la (toute) petite faiblesse d’Emmanuel. Parfois. Il avoue lui-même qu’il peut lui manquer, au moment crucial, cette rage de vaincre qui fait basculer une compétition.

« Il m’arrive de ne pas être assez méchant quand jaillit le pigeon d’argile. De ne pas me faire assez violence… »

Emmanuel Petit

©FFTir/J.Heise

Son ami Yann parle plutôt de sagesse.

« Il est trop gentil. Il est doux. Son physique assez imposant lui donne une autorité naturelle, il n’a pas besoin d’en rajouter. »

Sauf, que, pour Anthony Szewc, il devrait, justement, en rajouter.

« Je lui répète souvent de se lâcher, de prendre des risques. Il applique trop scrupuleusement les consignes. Il ne met pas assez de folie dans ses séquences de tir. »

Même trop gentil, Emmanuel Petit affiche un palmarès déjà conséquent. En 2015, moins de dix ans après ses premiers pas dans le skeet, il remporte le championnat du monde par équipes. Il récidive en 2018, année qu’il termine à la septième place mondiale. Aux championnats d’Europe 2019, il se classe cinquième en individuel. Et le meilleur reste probablement à venir, car il veut encore gagner.

Emmanuel Petit

©FFTir/J.Heise

« Son grain de folie à lui, c’est qu’il est acharné ! Parfois trop… Un jour, à la maison, il s’est cogné la tête en chutant. Il a fait des radios à l’hôpital et le médecin lui a fait comprendre qu’il valait mieux ne pas s’entrainer pendant plusieurs jours. Il n’a pas vraiment écouté…! Si son planning prévoit un entrainement, impossible qu’il n’y aille pas… » raconte Clarisse, son épouse.

Record du monde !

Ces sacrifices, cette volonté ont amené Emmanuel Petit à trouver sa voie. Le skeet a été le bon choix, il y a près de quinze, désormais.

« Le skeet olympique est, selon moi, la plus dynamique des trois disciplines de tir aux plateaux. C’est ce que j’aime. Aucun poste de tir ne ressemble à un autre. On alterne entre concentration extrême et courtes phases de décompression lors des changements de poste… »

La principale qualité requise pour le skeet ? Certainement les réflexes. En plus du sang-froid, de la technique et de la vitesse, entre autres. Car lorsque le tireur commande à la voix le départ des plateaux d’argile, il ne sait pas quand, dans un intervalle de zéro à trois secondes, ces derniers seront propulsés, à plus de 110 km/h depuis deux cabanes à droite (mark) et à gauche (pool) des postes de tir et à deux hauteurs différentes. Ce n’est qu’à la vue du plateau que le tireur peut épauler le fusil et tirer. Cela va vite, très vite. Une cartouche par plateau simples, deux pour les « doublés », quatre pour le doublé et doublé inversé lors du retour au poste 4, à la fin de la série.

Emmanuel Petit

©FFTir/J.Heise

Et quasiment aucun droit à l’erreur.

« En compétition, nous tirons 125 plateaux, répartis en cinq séries de 25. Il faut en toucher au moins 122 sinon la qualif est quasiment compromise. »

Pas beaucoup de jokers ! Deux, trois maximums. Et parfois, la plénitude. Emmanuel Petit l’a atteinte, l’an dernier, aux championnats d’Europe. Il a égalé, en qualifications, le record du monde : 125/125. Une année qui s’est brillamment terminée alors qu’il a changé de matériel et tâtonné pour maitriser sa nouvelle crosse.

Autre contrainte : l’obligation de casser les plateaux dans une limite des 40 mètres de distance de leurs points de départ. Faire vite sans être brusque. Et tous les repères sont chamboulés par les changements de poste de tir. Huit au total ! Emmanuel Petit n’a pas de poste préférentiel et s’adapte très vite aux spécificités de chacun d’eux.

L’arme, un fusil de calibre 12, pèse 3,7 kg. Alors forcément, Emmanuel pratique la musculation, l’adresse et la patience, où plutôt la capacité à déconnecter pour mieux se remettre dedans. En effet, en compétition, l’attente entre deux séries peut durer entre trois ou quatre heures !

« On doit penser à autre chose ou regarder un film sur sa tablette pour se détendre. Impossible de rester sous pression entre deux séries ! »

Le tir représente 70% de l’emploi du temps d’Emmanuel Petit. Le reste, il le consacre à son activité professionnelle de policier.

Emmanuel Petit

« Je suis affecté au commissariat de La Rochelle. Mon travail peut aussi bien être administratif que sur le terrain, à l’occasion de sorties en patrouille. L’adrénaline lors d’interventions compliquées n’est pas la même qu’en compétition. Comme pour n’importe lequel de mes collègues, ma vie peut être en danger. La pression qui monte est moins contrôlable », précise Emmanuel.

Il organise lui-même son calendrier et le fait valider par un service du ministère de l’Intérieur qui gère les sportifs de haut niveau. Ces derniers ont d’ailleurs eu le droit de s’entrainer durant le deuxième confinement. Un soulagement, par rapport au premier, pendant lequel Emmanuel épaulait son fusil sans le charger… dans son jardin.

Motivé par les jeunes !

En 2020, il n’aura pas tiré ses 45000 cartouches annuelles. Mais il se sent prêt pour les prochaines échéances qui se bousculent avant les Jeux. Et tout d’abord, une coupe du monde au Caire, en Egypte, début mars. Puis le championnat d’Europe en Croatie, fin mai. Entre temps, deux autres épreuves de coupe du monde en Corée du Sud et en Italie. S’il en rapporte des trophées, ils garniront les étagères de la maison de … ses parents !

« Il en a gagné tellement qu’il n’y a pas la place chez nous pour tous les exposer ! Mais il n’a pas besoin de les voir ou de les faire voir. Il est trop humble », confirme Clarisse.

Et en juillet, les JO de Tokyo… Depuis 1948, la France a remporté quatre médailles olympiques « en plateau » en plus des cent quarante-et unes médailles d’or aux championnats d’Europe et du monde. Il y a du talent, en France, où est effectué un gros travail de détection. Anthony Szewc, le premier entraineur d’Emmanuel Petit est aujourd’hui entraîneur national des juniors. La Fédération met les moyens pour garder ses talents. Et fournit aux meilleurs espoirs armes et munitions. Du matériel que le licencié ne s’achète pas spontanément, pour des raisons évidentes, comme d’autres s’offriraient crampons de foot, raquettes de tennis ou kimonos dès leur premier jour de pratique. Toute une logistique est nécessaire pour entourer et accompagner les jeunes tireurs. De ce vivier, éclos ces dernières années et avant, ils seront cinq à représenter le drapeau « bleu-blanc-rouge » au Japon. Dont Emmanuel, le « grand-frère ». Il côtoie, en compétition, partenaires et adversaires qui ont l’âge d’être ses fils ! Son âge, toujours son âge… Il en fait une force.

Emmanuel Petit

©FFTir/J.Heise

« Les jeunes le motivent ! Ils lui montrent que s’il a encore sa chance, à 48 ans, il n’en aura certainement pas deux », sourit Clarisse.

Après Tokyo, Emmanuel Petit intégrera le pôle « Paris 2024 », mis en place par la Fédération. Pas de passe-droit malgré son ancienneté. Il devra passer par des sélections pour garder sa place. Comme n’importe quel jeune espoir ! Mais il concède que le temps fait son œuvre …

« Je commence à moins bien voir de près. Sur mon portable par exemple, que j’éloigne un peu de mes yeux pour lire. Mais la vision de loin est parfaite ! »

On a envie de lui dire « pour l’instant » pour le taquiner. Mais le taquin aura l’air malin si Emmanuel Petit remporte une médaille à Tokyo, à 48 ans. Et plus fort encore, à Paris à 52 ans. Mais chut, il refuse de se projeter…

Écrit par Fabrice DAVID

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