Kévin Liot croit au coup de pouce

C’est un athlète à part qui vient de décrocher son billet pour les Jeux Paralympiques de Tokyo. Un « inventeur » ! Au printemps dernier, il tente une technique inédite et très personnelle… qu’il adopte définitivement. Pas commun, à quelques mois de la compétition. Mais rien n’est impossible pour un homme au mental hors norme, que les médecins condamnaient dès son plus jeune âge.

Le coup de pouce ? Du destin déjà… Kevin Liot a obtenu, fin juin à Lima au Pérou, l’un des derniers quotas pour les Jeux Paralympiques de Tokyo. In extremis !

Mais le coup de pouce, c’est surtout sa nouvelle technique de tir ! Qu’il n’a pas hésité à tester justement à l’occasion de cette dernière compétition décisive… alors qu’il l’a découverte deux mois plus tôt !

La main sur le haut de la carabine, c’est avec le dos du pouce que Kevin appuie sur la queue de détente. Le para-tireur de Neuves-Maisons, près de Nancy, est le seul à tirer ainsi ! La technique pourrait s’appeler la « Kevin Liot » puisqu’elle n’est pas dans les manuels !

« C’est en avril dernier, en manipulant, chez moi, ma carabine à l’occasion d’un exercice de « bougé », que j’ai découvert cette position de la main avec le pouce sur la détente. J’ai essayé, plus par curiosité qu’autre chose. »

Les séances d’entrainement suivantes sont comme une révélation. A 32 ans, Kevin prend le risque, avec l’aval de son entraineur, d’adopter définitivement cette nouvelle façon de faire.

« C’était en effet un risque parce que j’avais des acquis et une confiance accumulée pendant de nombreuses années avec l’index. Je n’ai pas tout perdu d’un coup, mais il y avait une part d’inconnu », confirme Kevin Liot.

Et il a dû faire des changements, puisqu’il modifie la sensibilité de la queue de détente en supprimant le point dur. Il y a, désormais, moins de course avant son lâcher. La détente n’est pas directe mais très sensible malgré tout.

« La première fois qu’il m’a montré son tir du pouce, j’ai eu un déclic. L’intuition que cela fonctionnerait ! A seulement un mois et demi de la compétition capitale de Lima, je n’ai pas hésité à valider », raconte Eric Deporte, entraineur de Kevin.

Les résultats sont bien meilleurs. En quelques semaines, Kevin Liot est passé d’une moyenne de 628 points par match à une moyenne de 632 points et même 634 à Lima ! Au Pérou, entre les compétitions de  tir couché, tir debout, en individuel et par équipes, le Lorrain a obtenu trois médailles !

©ANPPERU

« En rentrant de Lima, il était fou de joie. Quand il est parti là-bas, il disait vouloir faire le maximum, mais je ne pense pas qu’il songeait vraiment, à l’époque, se qualifier pour les Jeux », avoue Laetitia, sa sœur ainée.

Il a réussi son pari du pouce et assimilé cette nouvelle technique en quelques semaines. Pourtant, elle n’a pas que des avantages.

« L’inconvénient de cette technique et que le dos du pouce n’est pas une zone très sensible et il y a le risque de lâchers intempestifs. Ce geste n’est, en plus, pas naturel. Nous l’avons travaillé. Aujourd’hui, il le maitrise et c’est devenu naturel ! », insiste Eric Deporte.

« Je suis toujours là… »

Année 2005. Le jeune Kevin, 12 ans, ne pratique pas d’activités extra-scolaires. Tétraplégique de naissance, il regarde les copains jouer au foot. Mais le sport par procuration à ses limites. A l’occasion d’une balade en famille à la fête foraine, il s’arrête devant le stand de tir.

« C’est le hasard complet. Il a tiré sur des ballons et il a aimé ! Ce qui est amusant, c’est que moi-même, militaire, j’ai toujours tiré mais sans goût particulier pour cet exercice », sourit Patrice Liot, père de Kevin.

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C’est un coup de cœur. Kevin réclame à son père de trouver une infrastructure de tir sportif. Patrice n’a pas trop de mal à obtenir l’info auprès des collègues du régiment. Là encore, petit coup de pouce du destin : il y a un stand de tir, un vrai, celui-là, dans leur ville de Toul en Lorraine ! C’est un soulagement, pour tous, d’avoir trouvé une discipline que Kevin peut pratiquer et qui lui plaît !

« C’était l’occasion de sortir de la maison. Même si Kevin s’est toujours considéré comme une personne « normale ». Mais il fallait qu’il ait sa propre activité… »

Le tir en parallèle de la scolarité ? Une aubaine !

« J’étais un élève d’un niveau correct mais un peu tête en l’air. Le tir m’a aidé à me concentrer », confirme Kevin Liot.

Les résultats sont bons. A l’école et au tir. C’est Patrice, le papa, qui adapte le fauteuil de tir à partir d’un fauteuil roulant basique. Il fabrique les appuis, la tablette. Kevin Liot intègre l’équipe de France de para-tir. Son père est son accompagnateur. Il l’aide à s’installer, prépare l’arme, introduit les plombs. Le duo familial participe à des compétitions internationales jusqu’en 2013. Avant un coup dur. Comme si tout s’arrêtait. On lui détecte la maladie de Lyme, qui provoque notamment une détérioration de la vue.

« Grace à un gros mental, il s’en sort. Il met deux ans à s’en remettre. Aujourd’hui, il n’a aucune séquelle », affirme Patrice Liot.

Kevin ne doit pas tout reprendre à zéro mais il n’a plus son niveau d’avant.

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« Je pensais qu’il laisserait tomber, mais c’est mal le connaître », sourit Patrice.

Kevin cherche un deuxième accompagnateur pour soulager son père et lance un message sur les réseaux sociaux. Il repart en championnat de France, en 2017, fait de bonnes séries puis des moins bonnes. Il est irrégulier à cause de défauts qui ne sont pas corrigés. Et pour cause, il n’a pas d’entraineur ! Eric Deporte le prend en main fin 2017. Et corrige d’emblée, une erreur grossière !

« Il faisait son entrée en cible comme les valides, c’est-à-dire par le haut. Alors qu’il tire avec une potence ! Evidemment, il faut faire l’inverse… »

Breveté « Kevin »

Kevin retrouve progressivement son niveau. Il est un monstre de volonté ! Et un homme de finales, quand la pression est au maximum.

« J’aime l’adrénaline, le côté pas le choix. Je ne lâche jamais. »

Comme aux jeux vidéo. D’aventure, de foot ou d’automobile. Car Kevin Liot se qualifie lui-même de geek. Un vrai ! Tout le temps sur les écrans. Sauf les jours d’entrainement. Pas de console. Il se passionne aussi pour les nouvelles technologies. En couple depuis plus de dix ans, il croque la vie et ne se renferme pas sur sa situation. Au contraire.

« Je ne l’ai jamais entendu se plaindre de son handicap. Dans la famille, nous avons toujours voulu qu’il fasse la même chose que les autres. Il m’accompagnait faire les boutiques ou en boîte de nuit », explique Laëtitia.

Le tir sportif a aidé Kevin Liot dans son épanouissement. Et l’a assagi.

« Dans la vie de tous les jours, je suis un impatient. Pas au tir… Même si je bouge beaucoup dans mon fauteuil, ce qui est peut-être le signe que je suis encore un peu trop pressé… »

A Tokyo, c’est un athlète étonnant qui va chercher une médaille. Avec une technique à part. Un destin à part aussi.

« Quand j’étais enfant, lors de bronchites à répétition notamment, les médecins ont souvent conseillé à mes parents de bien profiter de moi car je ne devais pas vivre longtemps. A 32 ans, je suis toujours là.. »

Kevin Liot a vécu ses premières années dans des services d’urgence. Patrice se souvient de coups de téléphone de l’hôpital qui disaient « Venez vite, c’est la fin ». Mais leur fils est un battant hors norme. Qui s’apprête à disputer la plus belle des compétitions planétaires. Avec le pouce. A Tokyo, cette technique qui risque de surprendre ses adversaires. Voire attiser leur curiosité !

« Cela me vexerait un peu de me faire piquer ma technique ! A Paris 2024, il y aura peut-être des « poucistes »… Il faut que je dépose le brevet », sourit Kevin Liot.

Le Lorrain possède une vraie marge de progression avec cette technique qui n’a que quatre mois et avec laquelle il se sent particulièrement à l’aise. Un coup de pouce qui l’emmènera peut-être très haut, très vite !

Écrit par Fabrice DAVID


Palmarès

Carabine 10 m debout

2021

Médaille d’argent – Coupe du monde (Pérou)

2020

Médaille de bronze – Championnat de France (Niort)

2019

Médaille de bronze – Championnat de France (Lorient)

2018

Médaille de bronze – Championnat de France (Tarbes)

2014

Médaille d’or – Championnat de France (Besançon)

2013

Médaille de bronze – Coupe du monde par équipe (Angleterre)

Médaille de bronze – Championnat de France (Châteauroux)

Carabine 10m couché

2021

Médaille de bronze – Coupe du monde (Pérou)

Médaille d’or – Coupe du monde par équipe (Pérou)

2020

Médaille de bronze – Championnats de France (Niort)

2019

Médaille d’argent – Championnat de France (Lorient)

2017

Médaille d’argent – Championnat de France (Montluçon)

2014

Médaille d’argent – Championnat de France (Besançon)

2013

Médaille d’argent – Coupe du monde par équipe (Angleterre)

Médaille de bronze – Championnat de France (Châteauroux)

2012

Médaille d’or – Championnat de France (Chambéry)

2011

Médaille d’argent – Championnat de France (Albi)

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